Nuit de lune pour orchestre, conducteur, de Philippe Hurel : une oeuvre originale inspirée de Perec et Michaux !
Composer une nouvelle pièce pour un programme constitué d'oeuvres du répertoire et non pas uniquement d'oeuvres nouvelles, pousse à penser la partition autrement. Et lorsque qu'une thématique traverse le concert, on se sent alors encore plus enclin à imaginer sa propre pièce comme une partie du programme et on pourrait presque parler alors d'oeuvre « in situ » à propos de la partition qu'on est en train d 'élaborer.
Et pourtant, on sait que cette nouvelle pièce sera jouée dans d'autres contextes où la thématique de départ et les compositeurs seront différents. Mais qu'importe, il y a un immense plaisir à composer en pensant aux oeuvres qui seront jouées et finalement on se surprend à penser la partition comme une « musique à programme ».
Les nuits d'été , tel est le titre du concert de l'Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine et c'est tout naturellement que cette thématique de la nuit m'a suivi pendant mon travail et m'a ramené à l'un de mes auteurs favoris, Georges Perec qui, dans Espèces d'espaces , nous parle des ses angoisses nocturnes. J'ai extirpé de ce livre quelques phrases d'un long texte intitulé Le lit :J'ai beaucoup voyagé au fond de mon lit.
La peur - la terreur, même - était toujours présente (...)
Le lit : lieu de la menace informulée, lieu des contraires,
espace solitaire (...) encombré de ses harems éphémères, espace forclos du désir (...)
espace du rêve et de la nostalgie oedipienne.
Qu'il conclut par une allusion à Trophées de José Maria de Heredia :
Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable
Où tous les siens sont nés aussi bien qu'ils sont morts.
Me renvoyant aux courtes nuits peuplées de rêves de mon adolescence - plus agitées encore sous l'effet de la pleine lune -, ces deux textes m'ont suivi pendant l'élaboration de la pièce dans laquelle, si on ne retrouvera pas l'allusion à la terreur, on pourra du moins déceler ce que certains mots ont pu faire naître musicalement. Ainsi, « Le lit : lieu de la menace informulée, lieu des contraires, (…) espace du rêve » et « heureux qui peut dormir sans peur et sans remords » sont les éléments qui m'auront marqué le plus sans que j'oublie le texte dans son entièreté.
Par ailleurs, deux autres textes plus sombres mais qui traitent de la difficulté qu'on peut avoir à dormir et à supporter la nuit, m'ont aussi marqué. Tirés de La nuit remue de Henri Michaux, ces extraits sont, l'humour en moins, assez proches des textes de Perec :
Sous le plafond bas de ma petite chambre, est ma nuit, gouffre profond (…)
Le gouffre, la nuit, la terreur s'unissent de plus indissolublement.
Il est bien difficile de dormir (…)
Après quelques minutes d'un repos d'ailleurs indéniable, on est projeté dans l'espace. Ensuite, pour redescendre, ce sont toujours des descentes brusques qui vous coupent la respiration (…)
Aussi, l'heure d'aller dormir est pour tant de personnes un supplice sans pareil.
Ces quelques phrases « volées » à Michaux ont donc aussi alimenté mon travail de composition, notamment grâce à cette opposition du gouffre et de l'espace, lieux des contraires, comme dirait Perec.
Mais est-il possible de faire une transposition du littéraire au musical ? Non, je ne le crois pas mais le compositeur peut essayer de rendre compte de certains types de dispositions psychologiques ou de sensations. Pour cela, si le vocabulaire contemporain est moins explicite que celui du passé, il n'en demeure pas moins que le compositeur peut avoir recours à des situations musicales opposées (les contraires) entre lesquelles un trajet peut se former (le voyage) : de la tension à la détente, du statique au mobile, du flux au rythme, de l'éparse au dense, du sombre (le gouffre) au cristallin/lumineux (l'espace), etc… Autant d'états qui sont ceux que le dormeur, du sommeil au brusque réveil en passant par le rêve, connaît durant la nuit et souvent l'été quand, fenêtre ouverte, il a du mal à oublier les bruits du dehors, aussi beaux soient-ils.
Musicalement, ils se traduiront donc par le passage progressif d'objets lents et lisses à des groupes de mélodies rapides et volubiles ou des blocs harmoniques résonants, ou bien encore des polyphonies rythmiques ou des agrégats très graves plus inquiétants. Tous ces éléments, tels les idées qui tournent dans la tête quand on cherche le sommeil ou les impressions physiques de la nuit, sont répétés et variés de manière à ce qu'ils se dissolvent peu à peu. Voilà où la métaphore s'arrête, la musique ayant sa propre logique interne et pouvant être interprétée par chacun comme il le souhaite, évidemment et heureusement.
Philippe Hurel
Format : 29 x 42 cm
Durée de l'oeuvre : 10'
Nombre de pages : 47 --- Date de parution : 13/09/2023 --- Collection : Editions Henry Lemoine, musique contemporaine
Un ouvrage de la catégorie : Partitions en format conducteur